De la même manière qu’Airbnb a bouleversé le monde de l’hôtellerie et que le désormais célèbre Uber a révolutionné la mobilité urbaine, des startups sont parties à la conquête des services financiers : les « Fintech », ou plutôt « startups de la Fintech » puisque certains acteurs traditionnels lancent eux-aussi leurs propres services innovants. Les points communs de toutes ces entreprises ? Usage des nouvelles technologies, prix défiant toute concurrence et « désintermédiation » (l’offre et la demande sont mises directement en relation). Dans les échanges qui suivent, nous vous livrons, Olivier Goy, fondateur et président de Lendix et moi-même, notre vision de ces jeunes pousses qui réinventent le monde de la finance.

Quels sont les atouts de ces plateformes alternatives ?

Julien :

La stratégie des startups de la Fintech repose sur un cocktail réactivité/bas prix, qui est à l’origine de leur succès et explique leur croissance exponentielle. Ces startups proposent en effet souvent des services à moindre coût, grâce à deux leviers principaux : la désintermédiation (la marge dégagée est partagée par un nombre plus réduit d’acteurs) et l’automatisation des processus. Cette baisse des coûts leur permet d’attirer et de fidéliser une nouvelle clientèle, plus jeune et moins riche. La deuxième force de ces startups est leur rapidité d’action et des délais de réponse très courts, face à des banques souvent difficiles à manœuvrer et ralenties par des lourdeurs administratives. Enfin, l’ensemble des solutions ont l’avantage de proposer une expérience client toujours omnicanale, simple et fluide.

Olivier :

Dans mon domaine, celui des plateformes de prêts en ligne, il s’agit d’une double révolution. Pour les PME tout d’abord, ces plateformes sont une réelle alternative au crédit bancaire classique, plus simple, beaucoup plus rapide et surtout sans demande de garantie ou autre caution personnelle du dirigeant. Pour les particuliers, il s’agit d’une nouvelle classe d’actifs pour leur épargne, qui leur permet d’investir directement et en toute transparence dans l’économie réelle, tout en bénéficiant de taux d’intérêt attractifs dans un contexte où les taux sont particulièrement bas.

Comment expliquez-vous l’utilisation relativement faible de ces solutions par le grand public ?

Julien :

Les Français utilisent encore peu ces plateformes, tout simplement parce qu’ils les connaissent mal. L’étude que nous avons publiée en mars 2016, « La Fintech à la Française », montre le décalage entre le dynamisme des innovations financières et la connaissance et l’utilisation des Français. Sur les 10 services proposés par les Fintech testés lors de l’enquête, l’agrégation de comptes est le service le plus utilisé par les Français avec seulement 9% d’utilisateurs. Les services relatifs à l’épargne (financement participatif, planification financière, conseil automatisé) et aux objets connectés (assurance et santé) ne sont à ce jour utilisés que par 4 à 6% des Français. Les offres de formation à la finance, de transfert d’argent et d’assurance P2P ne concernent que 2 à 3% des Français. Les Fintech pâtissent donc d’une notoriété encore faible vis-à-vis du grand public. Néanmoins, nous anticipons une adoption grandissante puisque 38% des Français déclarent connaitre le financement participatif ou l’assurance habitation connectée.

Olivier :

L’activité des plateformes de prêts aux PME est extrêmement récente et n’a pu être possible que grâce à la loi du 16 septembre 2014 dit « financement participatif », qui a ouvert le monopole bancaire. Lendix lui-même a tout juste deux ans et à ce jour nous avons pu financer près de 200 projets pour plus de 53 millions d’euros auprès d’une communauté de quelques 17.000 prêteurs particuliers. Le taux de croissance mensuel est de 20 à 30% par mois. Par rapport aux 80 milliards de crédit consentis aux PME chaque année, c’est une goutte d’eau. Indéniablement. Le véritable challenge reste donc principalement dans la connaissance de l’existence de ce nouveau service auprès du grand public et le travail d’évangélisation qui reste à faire est énorme pour atteindre les niveaux d’usage qu’on voit dans des marchés plus avancés comme les USA ou le Royaume-Uni. La bonne nouvelle est que la croissance est particulièrement rapide, et pour le cas de Lendix la croissance du volume de prêts est supérieure à celle connue par Funding Circle à son démarrage. Même si la route est encore très longue, de voir Funding Circle qui a déjà contribué à 2.5 milliards $ de prêts aux PME, donne de l’espoir et une indication sur la taille du marché potentiel.

A l’inverse, comment justifier le fort intérêt des investisseurs et des médias pour ces solutions ?

Olivier :

Les investisseurs professionnels et les medias sont beaucoup plus au fait du potentiel que représentent les plateformes de prêts. Des succès comme Lending Club (l’une des plus grosses introductions à Wall Street en 2014) ou Funding Circle qui fait partie du club des « licornes » Internet, attire l’attention et l’intérêt. En 2015, le marché mondial des plateformes de prêts (P2P et SME) a atteint 185 milliards de dollars, essentiellement aux USA, au Royaume-Uni et en Chine, et il n’y a pas de raisons intrinsèques pour que ce phénomène mondial ne gagne pas la France et l’Europe continentale également.

Julien :

On assiste aujourd’hui à un développement rapide et accéléré de Fintech, qui grâce à leur agilité et leur créativité revisitent les métiers de la banque et de l’assurance en proposant de nouveaux produits et services innovants, ainsi qu’une expérience client fluide, personnalisée et digitale. On prévoit par exemple que les robo-advisors gèrent plus de 10% des actifs sous gestions dans le monde à l’horizon 2020. Rien d’étonnant donc, vue la rapidité avec laquelle ces startups s’imposent dans le paysage bancaire, à ce que les investisseurs et les médias suivent de très près ces nouvelles initiatives.

Comment voyez-vous l’avenir des Fintech en France ? Quel scénario vous semble le plus probable à horizon 5 ans / 10 ans ?

Julien :

Après l’engouement lié au développement exponentiel de ces nouvelles solutions à forte valeur ajoutée pour les clients et aux tarifs avantageux, nous allons probablement entrer dans une ère plus rationnelle. Le digital s’appuie en effet sur un système d’économies d’échelle où le coût marginal doit tendre vers zéro. Dans ce contexte, seul un modèle à gros volumes et à grande échelle pourrait devenir vraiment rentable à terme. On assistera ainsi dans les prochaines années à une consolidation progressive des acteurs, probablement à une échelle internationale, et dans une logique de plateforme multi-services à la demande.

Olivier :

Nous sommes convaincus que le potentiel du crowdlending entreprise en France est de plusieurs milliards d’euros par an à terme. Concernant le scénario de développement nous voyons deux éléments fondamentaux.

Tout d’abord contrairement à de nombreux secteurs Internet où l’ensemble du marché est vite dominé par un acteur unique et le plus souvent d’origine américaine (Facebook, Google, Amazon, AirBnB…), nous pensons que le marché du crowdlending entreprise est fondamentalement multi-local. Aussi nous voyons un scénario où plusieurs leaders locaux vont émerger et capter le potentiel de marché respectivement en France, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne… Les raisons à cela sont tout autant réglementaires qu’économiques. Chaque pays présente sa propre réglementation spécifique autour du financement des entreprises en général et financement participatif en particulier. Chaque acteur doit maitriser chacune de ces réglementations et avoir une implantation réelle et forte dans le pays. Ensuite commercialement il est important de connaître parfaitement le tissu de PME locales et de pouvoir les rencontrer pour les évangéliser ou affiner l’analyse crédit.

Second élément clé : la concentration des acteurs du crowdlending. Plus de 60 plateformes de prêts se sont lancées, et seules quelques-unes seront amenées à rester et se développer. Le business modèle des places de marché est fondamentalement lié à une notion de volume et les plus grosses plateformes seront seules à même de créer un cercle vertueux permettant d’attirer plus d’emprunteurs et donc plus de prêteurs et par conséquence plus d’emprunteurs…

Donc notre scénario de base est celui de 2 à 3 plateformes de prêts aux PME en France avec des leaders locaux et éventuellement un co-leader anglo-saxon ayant bien réussi sa « localisation » dans le marché français.

Quels sont les freins à lever ?

Olivier :

Au-delà de la notoriété du service, que nous devons développer avec les autres plateformes, l’une des mesures qui pourrait vraiment booster le développement du crowdlending en France, serait d’y appliquer une fiscalité comparable à celle du PEA ou de l’Assurance-Vie. C’est la direction prise par exemple au Royaume-Uni avec le lancement d’un contrat dédié « ISA ». Certaines études suggèrent que plus de 400 000 britanniques vont opter pour le crowdlending grâce à cette mesure, une vraie manne nouvelle de financement pour les PME anglaise.

Julien :

La règlementation reste un frein important pour les Fintech. La sécurité des données ou encore la mise en œuvre de la Directive révisée concernant les services de paiement (PSD2) sont des thématiques sur lesquelles les attentes et les interrogations sont encore fortes. Sur cet enjeu réglementaire, il est à noter toutefois que les relations entre Fintech et régulateurs se développent, comme le montre par exemple la mise en place par l’ACPR en juin dernier d’un pôle dédié aux start-up de la finance qui pilotera la démarche commune avec l’AMF pour coordonner l’action des deux autorités en matière d’accueil et de régulation des projets innovants.

Quels sont, selon vous, les challenges que devront relever les Fintech pour accélérer le développement de ces plateformes ?

Julien :

Le challenge prioritaire pour les Fintech est aujourd’hui le recrutement et la gestion des talents. Les Fintech françaises anticipent toutes une croissance forte de leurs effectifs sur l’année.

Un autre challenge important réside dans le développement de partenariats gagnants – gagnants avec les acteurs traditionnels de la finance. Les banques traditionnelles possèdent en effet un certain nombre d’actifs essentiels – une solidité financière qui leur permet d’encaisser les chocs économiques,  des millions de clients en portefeuille et surtout la confiance qu’elles continuent globalement d’inspirer – sur lesquels les Fintech peuvent s’appuyer. On observe aujourd’hui diverses formes de rapprochements : prise de participations, incubation, accélération, partenariats de distribution…

Olivier :

Pour ce qui est du crowdlending et des plateformes de prêts aux PME, le challenge clé est de croitre tout en gardant la confiance des utilisateurs. La rigueur dans la sélection des projets proposés aux prêteurs est fondamentale car il serait facile d’accepter des sociétés trop risquées pour le bénéfice d’une croissance à court terme. Lendix présente une particularité importante à ce sujet. Afin d’assurer un alignement d’intérêts parfait entre les investisseurs et la plateforme, les dirigeants de Lendix investissent à titre personnel et systématiquement dans tous les projets mis en ligne. Cela ne garantit pas que nous n’aurons pas de défaut, il y en aura forcément, mais nous partageons avec les prêteurs les mêmes intérêts au niveau des gains et des risques.

Un autre point essentiel résidera dans la capacité à croitre tout en maintenant une expérience utilisateur simple et différente des banques traditionnelles. Tant du point du vue « prêteur » qu’ « emprunteur » notre raison d’être est d’apporter une expérience client réellement nouvelle et novatrice. C’est ce que nous faisons actuellement selon les feedback très positifs de nos clients, et c’est ce que nous devrons continuer à faire quand nous serons 10 ou 20 fois plus grand. La technologie sera l’élément clé pour assurer cette promesse avec un équilibre parfait entre FINance d’un côté et TECHnologie de l’autre.

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