Il y a des signes qui ne trompent pas. Alors que depuis plus de quinze ans l’ISR (investissement socialement responsable) et les initiatives volontaires de la finance responsable se développent timidement, la COP21 a donné un sacré coup d’accélérateur à la prise en compte de critères de développement durable par la finance. Quelles que soient les suites de l’Accord de Paris et des difficultés politiques américaines à l’appliquer, la COP21 aura mobilisé les leaders d’opinion de la finance internationale. C’est le signe que le monde va changer, et peut-être plus vite qu’on ne peut le penser.

La mobilisation des poids lourds de la finance mondiale

Il est indéniable que le concept de finance responsable a progressé ces dernières années, sans attendre la COP21, notamment avec le développement de l’ISR, le succès récent des emprunts obligataires verts (green bonds) et la multiplication des initiatives de place (UNEP-FI, PRI, PSI, CDP, Montreal Pledge…). Mais les prises de position de trois poids lourds de la finance devraient accélérer la donne :

  1. Quelques mois avant la COP21, c’est le plus gros fonds souverain au monde, le fonds norvégien (870 milliards de dollars d’actifs), qui a dégainé le premier. Il y a un an, celui-ci annonçait se désengager de 22 entreprises impliquées dans les secteurs du charbon, des sables bitumeux, du ciment et de l’or, dont les modèles économiques n’étaient « plus soutenables à moyen et long termes ». Depuis, les annonces d’autres acteurs sur leur désinvestissement de certains secteurs émissifs se multiplient. La voie est ouverte et la tendance lancée…
  2. Lors de la COP21, le FSB, Conseil de stabilité financière qui regroupe les banquiers centraux des pays du G20, a lancé un groupe de travail pour l’établissement de « lignes directrices en matière de publication d’information sur la prise en compte du risque climat par le monde financier » et en a confié la présidence à Michael Bloomberg, dont l’influence politique et dans le monde financier laisse présager que les conclusions et recommandations qui en sortiront ne resteront pas sans effet…
  3. Mais l’électrochoc est venu d’un acteur qu’on n’attendait peut-être pas. Il y a quelques jours, Larry Fink, patron de BlackRock, le plus gros gestionnaire d’actifs du monde avec plus de 4600 milliards de dollars, a prévenu l’ensemble des dirigeants des grands groupes européens et américains : il faut en finir avec « l’hystérie » court-termiste. Presque menaçant, il rappelle que « sur le long terme, les questions environnementales, sociales ou de gouvernance – qui vont du réchauffement climatique à la diversité des conseils d’administration – ont un impact financier réel et quantifiable » et soutiendra donc les administrateurs et dirigeants d’entreprises qui en tiennent compte.

Nous sommes désormais bien loin d’un concept pour militants. Le monde financier vient peut-être de basculer.

Le branle-bas de combat dans les états-majors des grands acteurs français

En mai dernier, alors que la COP21 se préparait, Pierre-René Lemas, DG de la CDC, a annoncé des engagements forts dans le financement de la transition énergétique et écologique avec 15 milliards d’euros d’ici à 2017 et la « décarbonation » de ses portefeuilles d’investissement grâce au renforcement du dialogue avec les participations du Groupe sur ces sujets et des réallocations d’actifs. AXA n’est pas en reste et, après des annonces de même nature en 2015, a publié en janvier 2016 l’empreinte carbone de près de 402 milliards d’euros de ses actifs et réaffirmé ses désinvestissements du charbon et la généralisation de l’analyse « ESG » (environnement, social, gouvernance) pour l’ensemble de ses portefeuilles. Et à y regarder de près, toutes les institutions financières sont mobilisées. BNP Paribas, Société Générale, BPCE ou encore Natixis ont par exemple acté des engagements de même nature.

Et derrière ces annonces, il y a un indice qui ne trompe pas : la multiplication des sollicitations que nous autres, cabinets de conseil à double casquette finance et développement durable, observons ces derniers temps. Les initiatives des états-majors foisonnent, comme par exemple :

  • l’intégration de la dimension climat dans la gestion des risques et les stress tests ;
  • la revue des dispositifs d’intégration ESG dans l’asset management et préparation à la labellisation ISR ;
  • le lancement de « green bonds » de plus en plus importants et exigeants ;
  • le montage de fonds « verts » – dédiés parfois à des projets environnementaux très ciblés et techniques ;
  • l’évaluation des impacts sociaux en environnementaux des investissements (logique d’impact investing) ;
  • le choix méthodologique pour l’empreinte carbone des portefeuilles et leur « décarbonation ».

Certains projets étaient lancés depuis longtemps mais la nouveauté est qu’ils ne sont plus désormais marginaux ou l’apanage des seuls responsables RSE. Les directions générales se mobilisent, allant même parfois à envisager une remise à plat de leurs offres et de leurs procédures internes. Il n’y a plus de doute : le carbone et plus largement les critères ESG sont en train de devenir une préoccupation stratégique de premier plan pour l’ensemble des métiers de la finance.

Derrière cette mobilisation, les conséquences directes pour les pratiques de « l’économie réelle » peuvent être significatives et à court terme. Les entreprises ne vont pas tarder à être encore plus sollicitées et challengées par leurs investisseurs et prêteurs sur leurs stratégies, démarches et reportings en matière de développement durable. Et cela, quelle que soit la nature des obligations issues de la transposition de la directive européenne sur le reporting non financier attendue cette année.

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